En 1699, Louis XIV décide de prendre sous sa protection un groupe de savants installé par Colbert depuis 1666 dans la bibliothèque du roi, rue Vivienne. Désormais, l'assemblée portera le titre d'Académie royale des sciences. Elle siégera au Louvre. Les communications des académiciens seront publiées. Ainsi commencent les Descriptions des Arts et Métiers. En 1709, Réaumur devient responsable de cette publication. Cependant, à sa mort, en 1757, seuls quelques éléments ont été diffusés. En 1761, Duhamel du Monceau prend les choses en main. Vingt-sept volumes paraîtront au cours des vingt-huit années qui suivront. Dès 1751, d'Alembert avait lancé, non sans difficultés, l'Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers. Entre ces deux publications, les liens sont étroits et l'émulation, voire la rivalité, certaines. Académicien, d'Alembert est au fait des travaux de ses confrères ; il s'en inspire largement. Bien plus, il reprend à son compte la présentation des planches de Description des Arts et Métiers. L'Académie intentera un procès pour plagiat.

Quel est le champ de ces descriptions des Arts et Métiers et, d'abord, qu'entend-on par art ? L'art, nous dit Larousse, est l'" application de connaissances raisonnées et de moyens spéciaux à la réalisation d'une conception (se dit, dans ce sens général, par opposition à science théorique et à pratique spontanée ou routinière : l'art s'acquiert par l'étude et l'exercice. " Cette définition illustre parfaitement l'objectif des académiciens. Amené à s'intéresser à la construction navale dès 1741, Duhamel du Monceau déplorait le fait que les charpentiers de marine travaillaient " au hasard et sans principe ". Chaque volume pose donc 1' " ensemble des règles d'un métier, état, profession " (Larousse). Ces descriptions traiteront de sujets aussi variés que la fabrique des étoffes de soie, l'exploitation des mines de charbon de terre ou l'alimentation.

La place accordée aux arts liés au monde marin n'est pas négligeable. Deux volumes, rédigés par Duhamel en personne, concernent la pêche, un - celui publié ici - la construction navale.

La pêche, mais aussi le commerce maritime, et sa corrélation la course, jouent un rôle de plus en plus important dans l'économie du temps. Le développement de la France passe alors par les ports. Le commerce, notamment colonial, devient essentiel. La flotte française occupe le deuxième rang mondial, derrière celle de la Grande-Bretagne. Selon les estimations de Pierre Chaunu, dans les années 1780, mille huit cents navires parcourent quotidiennement cent vingt à cent trente millions de km2. On comprend l'enjeu que représente la publication du texte de Chapman. Cet auteur range les navires en deux classes, d'une part les petits, dont les formes variées sont dues à la nécessité de s'adapter à des contextes géographiques particuliers, d'autre part les grands, destinés à courir les mers et les océans du globe. S'il n'est pas question d'unifier les différents types d'embarcations locales, en revanche, il y a nécessité de définir un type idéal de grand navire.

Cette préoccupation concerne également la flotte de guerre. Au même moment, sur les conseils de l'ingénieur Groignard, le ministre de la marine, Sartine, s'emploie à standardiser les bâtiments militaires. D'ailleurs, dans sa préface, Chapman mentionne les navires de guerre, sans toutefois s'appesantir. Cette mention est d'autant moins étonnante que Chapman portait le titre de vice-amiral.

Né à Goeteborg, Fredrik Henrik af Chapman (1721-1808) avait fait de nombreux voyages à travers l'Europe afin d'étudier la construction navale. On lui doit, par exemple, le plus ancien plan connu de tartane. De retour en Suède, il est nommé constructeur en chef des vaisseaux de l'État et, de 1781 à 1790, il dirige les chantiers royaux de Carlskrona. Il ne se contente pas d'amener la construction navale à un très haut degré de perfection. Membre de l'académie des sciences suédoise, il publie de nombreux ouvrages, dont le fameux traité de L'architecture navale marchande, publié en forme d'atlas à Stockholm en 1768.

Dans le texte présenté ici, Chapman revient d'ailleurs sur cette publication, dont il juge nécessaire de fournir la description des plans et dessins.

S'il propose des règles de calcul (déterminer le tirant d'eau d'un navire ou son jaugeage) et les proportions idéales de différents vaisseaux, Chapman ne se laisse pas aller au vertige de la théorie. L'intérêt de son texte repose sur un souci constant des choses pratiques : l'arrimage et la manière de calculer l'espace qu'occuperont les biscuits et les pois destinés à un équipage de vingt-quatre personnes pendant six mois. En esprit avisé de l'époque des Lumières, Chapman n'oublie jamais l'homme. La conclusion de sa préface en témoigne. Il est certes essentiel de se soucier des détails matériels mais, au bout du compte, c'est l'habileté du capitaine qui s'avère déterminante.

Réaumur (1683-1757) est un homme d'une autre génération. D'abord soucieux de géométrie, il se tourne ensuite vers l'histoire naturelle ; il sera surnommé le Pline du XVIIIe siècle. Comme la plupart des savants de cette époque, il fait preuve d'une grande curiosité à l'égard des autres domaines de la science. Aussi le voit-on se préoccuper ici de la fabrication des ancres. Il suffit de lire les journaux des grands explorateurs pour comprendre à quel point cet élément peut, s'il est mal conçu, mettre en péril un bâtiment et son équipage. C'est pourquoi Duhamel du Monceau (1700-1781) juge nécessaire d'adjoindre des notes au texte de Réaumur. D'abord intéressé par la sylviculture, Duhamel est amené à s'orienter vers la marine. Il y a une logique dans cette évolution. Pour construire ou mater un bateau, il faut du bois.

Nommé Inspecteur des constructions navales, il supervise la formation des charpentiers de marine. En 1741, il établit à Paris une " petite école " où l'on enseigne les mathématiques et la physique à certains élèves détachés des ports. Il considère que la Scientia navalis d'Euler (1749) et le Traité du navire, de sa construction et de ses mouvements de Bouguer (1746) sont " utiles aux habiles constructeurs ", plutôt qu'aux élèves. Aussi écrit-il Éléments d'architecture navale ou Traité pratique de la construction des vaisseaux (1752, nouvelle édition en 1758). Son ambition est de donner " le moyen de faire des vaisseaux qui n'auront pas de défauts essentiels et pourraient égaler les vaisseaux qui se sont fait une réputation ".

En 1765, la petite école devient l'école du génie maritime. Elle prépare désormais au concours d' " Ingénieurs constructeurs de la marine ". Les compétences de ses anciens élèves permettront d'améliorer considérablement la construction navale.

Chapman l'écrivait dans sa préface, la perfection des formes d'un navire ne suffit pas. Celui-ci doit être gréé et lesté correctement. A Charles Romme (1744-1805) revient donc le devoir de décrire l'art de la mâture et de la voilure. Professeur de mathématiques à l'école de marine de Rochefort, Romme publiera de nombreux traités et ouvrages de grande qualité, parmi lesquels L'Art de la marine (1787), Nouvelle méthode pour déterminer les longitudes en mer (Mil), Tableau des vents, des marées et des courants sur toutes les mers du globe (1806) et deux dictionnaires, l'un consacré à la marine française (1792), l'autre à la marine anglaise (1804).

" MM. de l'Académie des sciences " ne s'étaient pas trompés. Cette description des arts de la marine a sans nul doute contribué à la réforme voulue par Louis XVI et par ses ministres, Sartine d'abord, puis le marquis de Castries. En 1789, pour la première fois de son histoire, la flotte française (et pas seulement la flotte militaire) avait en grande partie rattrapé les retards accumulés à la suite de négligences diverses. Ce succès était dû à la clairvoyance d'esprits éclairés, mais aussi à une remarquable convergence de vues entre hommes politiques, savants, ingénieurs et gens d'affaires. Malheureusement, la Révolution et l'Empire balaieront en très peu de temps les résultats de tant d'efforts.

Laurent Manœuvre est ingénieur de recherche à la Direction des Musées de France.

ISBN:  2-914661-56-8

 

Format 23cm x 32cm.

 

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Bibliothèque de l'Image 2002


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